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Mémoires du Caporal Gaston Bernard 1914-1918

Combats en Belgique : 1ère bataille d'Ypres

15 Janvier 2015 , Rédigé par Valérie Donner

21 Janv. : Je pars comme volontaire au 90ème régiment d’Infanterie. Nous prenons le train à 5h1/2 du soir. On passe par Paris, Amiens, Boulogne et Calais où l’on s’arrête 1h1/2. On arrive à 7h du soir le 22 janvier à Dunkerque. Nous avons été salués par des avions allemands qui ont jeté 20 bombes sur la gare et les environs.

23 Janv. : Nous prenons le train à 10h1/2 et nous embarquons à la gare frontière où l’on entend très bien le canon. J’assiste même à un combat d’avions et artillerie. Nous allons cantonner, nous sommes à 19 kms de la ligne de feu. Le 23, on quitte Steenwoorde et nous allons à Poperinge.

24 Janv. : On quitte Poperinge à 8h1/2 pour aller à Vlamertinge où on arrive à 11 heures. L’après-midi, deux heures d’exercice. Je ne croyais pas venir à 10 kms des allemands pour faire l’exercice. On doit rester 5 jours ici et ensuite on part en 1ère ligne.

 

 

 

27 janv.  : On quitte Vlamertinge pour s’en aller à Saint-Jean parce que le régiment ne vient pas au repos. Il reste en 2ème ligne. Pour se rendre à Saint-Jean (Sint-Jan), nous traversons la ville (Ypres dans les Flandres) et l’on peut se rendre compte des effets du bombardement que la ville a  eu à supporter (La 1ère bataille d’Ypres avait eu lieu à l’automne 1914). Le quartier de la gare et la cathédrale sont complètement détruits et il n’y a pas beaucoup d’endroits ailleurs qui soient épargnés.

Ypres anéanti le 22 Novembre 1914

 

 

 

En arrivant à Saint-Jean, nous trouvons notre régiment. Je suis affecté à la 3ème compagnie.

 

Du 27 au 30 : Nous passons des jours tranquilles à part une alerte que nous avons eue dans la nuit du 28 au 29 janvier mais ça n’a rien été.

 

30 Janv. : Nous partons dans la nuit pour relever le 175ème qui est dans la tranchée 1ère ligne. Nous avons 10 kms à faire dont 5 kms sous les balles et les obus. Aussi on ne va pas vite. A chaque instant, il faut se jeter à plat ventre. Par ici, il ne reste plus rien. Partout, c’est la ruine et la désolation. Du gentil village, il n’y a plus que des décombres. On ne rencontre plus un civil. Tous ont laissé place aux combattants. Une maison, qui n’avait pas tout à fait été démolie, a été incendiée l’après-midi par des obus allemands. Elle achève de bruler quand nous passons. Enfin, nous voici arrivés à un petit bois de sapins qui se trouve en arrière de notre tranchée. A environ un kilomètre, le terrain est dangereux, les balles sifflent autour de nous.

Nous sommes tout un régiment et on n’entend pas un murmure, ceux qui toussent mettent un mouchoir sur leur bouche. On se rend compte que c’est une question de vie ou de mort, car si les allemands s’aperçoivent de la relève, la mitraille va tomber tout autour de nous. Enfin tout se passe bien, ils ne se sont aperçus de rien. On se couche à plat ventre pendant qu’un officier va reconnaître le boyau qui nous conduit aux tranchées. Ensuite, on va sur ses traces en faisant le moins de bruit possible. On s’engage à sa suite dans le boyau et on a de l’eau jusqu’aux mollets.

En arrivant à la tranchée, chacun prend son poste an cas d’attaque et pendant que les uns veillent, les autres creusent un peu la terre pour faire des trous où l’on pourra se reposer dans la journée car la nuit, on ne dort pas, chacun doit être à son poste et veiller.

 

          

 

Enfin la nuit se passe tranquille. On échange de vives fusillades de part et d’autres mais sans résultat. Enfin, le jour arrive et tout le monde rentre dans les cahutes ; car tout à l’heure, les allemands vont nous arroser de bombes et il ne reste que quelques hommes pour guetter.

Les autres vont essayer de se reposer un peu. On met sa couverture autour de soi et son fusil à côté. Et on se couche mais il faut pas croire que c’est dans un lit ou sur la paille. On se couche par terre dans la boue. Et la fatigue vous fait dormir une heure ou deux et on se réveille glacés. On se tape les pieds pour essayer de se réchauffer.

L’après-midi, les allemands recommencent à nous lancer des bombes et nous tuent deux hommes et en blessent trois. On enterre ces pauvres gars que leurs familles ne reverront plus et ne sauront  même pas où ils dorment leur dernier sommeil dans la tranchée à côté de nous, côte à côte avec de nombreux camarades qui sont déjà tombés avant eux. La tranchée, c’est notre maison, c’est notre lit, et trop souvent notre cimetière, car ici, nous sommes tout près des allemands et celui qui se montre est sur d’être un homme mort.

Enfin arrive 5h du soir. Il faut deux hommes par section pour aller aux distributions qui se trouvent à cinq kilomètres de là. Il va falloir faire le chemin que nous avons pris pour venir et la route est dangereuse, mais si l’on veut manger, il faut y aller. Du reste, c’est chacun son tour.

Nous arrivons là-bas à 7h et avec celui de ma section, on a ce qu’il faut pour les autres et on va voir notre cuisinier qui nous donne une soupe bien chaude que l’on mange avant de repartir à la tranchée. Enfin, à minuit, on prend le chemin de retour et avec notre manger, nous arrivons sans encombre à 2h du matin.

Ceci est à peu près tout ce qui se passe tous les jours dans les tranchées où l’on reste deux à trois jours, et ensuite, on est relevé par un autre régiment que nous relevons à tour de rôle. Ils arrivent à 1h du matin et nous avons 17 kms à faire pour gagner le pays où l’on va prendre 4 jours de repos bien gagnés. Car ceux qui n’ont pas fait la campagne ne pourront jamais se faire une idée de ce que c’est de passer six jours et six nuits dans les tranchées. En plus de la souffrance que l’on endure, en plus du danger des balles et des obus qui n’est rien auprès de ceux du froid quand on est dans l’eau et la boue jusqu’aux mollets et qu’il gèle par là-dessus, on a les pieds qui enflent dans les souliers et quand on s’endort, terrassés par le froid et la fatigue, on se couche dans un trou que l’on s’est creusé pour se faire un abris et on dort là, à même la boue et malheureusement, trop souvent, ce trou nous sert de tombe.

Car combien il y en a de pauvres camarades là, autour dans la tranchée auprès de ceux qui continuent à combattre en attendant qu’une balle les couche eux aussi dans la tombe. Enfin, nous allons pouvoir nous reposer trois jours et après nous irons reprendre notre place et le 125ème viendra se reposer à son tour, les jours passent et la vie est toujours la même. On ne recule, ni on avance, on conserve nos positions.

17 Fev. : Les cuisiniers de ma section sont blessés et personne ne veut les remplacer. C’est alors que je suis désigné parmi les deux qui doivent les remplacer. Je note ceci car c’est peut-être là que je serai tué.

 

23 Fév. : Un obus de 105 est tombé juste dans ma cuisine et nous renverse. Nous étions 5 et par un hasard extraordinaire, il n’y a qu’un blessé et moi légèrement à l’épaule, c’est une vaine de s’en être tiré comme ça. Enfin tout le monde ne peut être tué. Il y en a bien qui en reviendront et j’espère être de ceux-là.

 

5 Mars : Nous sommes relevés par le 145ème qui vient de prendre 15 jours de repos. Toute notre division est relevée par une division du 20ème corps car nous partons au repos à notre tour.

Nous partons des tranchées à minuit et nous arrivons à Vlamertinge à 4h du matin où l’on reste jusque 7h. Ensuite, un autobus vient nous chercher et nous emmène à Herzeele, petit village de la frontière française. C’est là que l’on va passer nos 15 jours de repos.

22 mars :      Voilà déjà 15 jours que nous sommes au repos. Les deux ou trois premiers jours, je trouvais ça bon mais à présent, je voudrais déjà bien être repartis aux tranchées. Décidément, j’aime mieux les émotions que l’on a là-bas que la vie monotone que l’on mène ici et enfin, j’espère que l’on ne tardera pas à repartir.

 

25 Mars : Notre repos est fini. A 6h du matin, nous reprenons les autos qui nous ramènent à Vlamertinge. Et de là, à 8h du soir, on repart pour les tranchées. Du plus loin qu’ils peuvent, les boches nous saluent de leurs obus, mais décidément, ils tirent mal et quoique ce soit la route qu’ils essaient de viser, leurs obus tombent tous à 100m à droite ou à gauche de la route ; Aussi, on a quelques petites émotions mais c’est tout. On arrive aux tranchées sans mal et ma foi, ça n’a pas changé depuis que l’on est partis. On y est toujours aussi bien à part quelques bombes qu’ils nous envoient sur la gueule de temps en temps.

Après 10 jours de tranchées, nous quittons encore une fois la Belgique et on va se reposer au même endroit où nous avons passé 20 jours et je retrouve avec plaisir les fermiers chez qui j’étais.

J’ai fait une remarque pendant cette période de tranchée que nous venons de faire ; j’ai trouvé le secteur meilleur que celui que nous avions à garder à Zonnebicke (Zonnebecke sur la carte), quoique les nombreux cadavres allemands qui sont devant la tranchée par groupe de 4 ou 5 témoignent des furieux assauts de la division qui était là et que  les anglais ont eu à supporter. Le secteur était nommé « Butte aux anglais »(Promontoire artificiel dénommé Hill 60 par les anglais qui ont pris le relais en Février 1915) . Notre position ici est très avantageuse, nous surplombons toutes les tranchées ennemies qui sont établies sur la flanc de la côte .

 

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